Sonder les profondeurs du sommeil
Dans un récent article, l’étudiante au programme de doctorat en neurosciences Claudia Picard-Deland tente d’expliquer le trouble du sommeil de l’insomnie dite paradoxale, phénomène qui donne bien du fil à retordre aux spécialistes du sommeil, en présentant des résultats d’études récentes en neurosciences du sommeil qui offrent quelques pistes de réponse et remettent en question la manière même de conceptualiser nos états d’éveil et de sommeil.
Des îlots d’éveil
« Plusieurs hypothèses ont été proposées pour tenter d’expliquer ce paradoxe. Certaines supposent que ces patients et patientes auraient de la difficulté à percevoir leur état de sommeil, le méprenant donc pour un état d’éveil, que leur inquiétude face au sommeil amplifierait les symptômes nocturnes qu’ils rapportent, ou encore qu’ils auraient simplement du mal à estimer le temps qui passe durant la nuit[4].
Mais des avancées en enregistrement du sommeil ont permis de conceptualiser l’insomnie paradoxale différemment : ces personnes seraient peut-être dans un état mixte d’éveil et de sommeil. En fait, depuis les deux dernières décennies, la perspective traditionnelle du sommeil comme phénomène « tout ou rien » est de plus en plus mise en doute, à la lumière d’études montrant que des états d’éveil et de sommeil peuvent coexister[5]. Ce phénomène a d’abord été mis en évidence chez certaines espèces animales. Par exemple, les dauphins peuvent dormir d’un seul hémisphère à la fois ― une moitié du cerveau est endormi, alors que l’autre moitié demeure éveillée pour leur permettre de rester alertes et de retourner à la surface de l’eau pour respirer[6].
Chez les humains, ce type de sommeil unihémisphérique n’est pas possible. Pourtant, les preuves s’accumulent pour montrer que le sommeil et l’éveil seraient régulés de manière locale dans notre cerveau[7]. Un cas flagrant est celui du somnambulisme, où un réveil incomplet se solde par un cerveau partiellement éveillé et partiellement endormi. Des études ont aussi montré que certaines régions du cerveau pouvaient s’endormir plus rapidement que d’autres, ou qu’une moitié de notre cerveau dormait moins profondément que l’autre lors d’une première nuit passée en laboratoire[8]. Une hypothèse supposerait que le cerveau aurait conservé la capacité de maintenir un certain niveau de vigilance tout en dormant, particulièrement lorsque l’on dort dans un endroit non familier. À l’inverse, des petites régions isolées du cerveau peuvent s’endormir de manière transitoire, et ce, même si la personne est globalement éveillée[9]. Tomber dans la lune serait peut-être en fait tomber ― partiellement ― endormi. » [Extrait]